Dans la pénombre crissante d'un sac de toile, un petit ballon jaune gisait, frêle et captif, parmi ses frères condamnés. Nul éclat d'or ne fendait la nuit de sa prison : il n'était qu'un souffle en attente d'un plomb au stand cruel des carabines. Le cirque grondait tout autour, festoyant la perte de ceux qui, comme lui, n'avaient d'autre destin que l'éclatement final sous les rires enfantins.
Mais un soir de brise espiègle, le destin se tendit tel un fil de soie : le sac bâilla d'oubli, une fente minuscule se fit passage, et lui, frémissant d'audace, roula, glissa, s'échappa. D'un bond, il sentit l'ivresse d'un souffle neuf : il flottait ! Il s'élevait, il défiait la terre, bousculait la fatalité. Jamais un petit ballon jaune ne s'était ainsi arraché au sol, à l'exception peut-être d'un rouge, murmuré par la légende.
Mais l'ivresse de la liberté se mua bientôt en vertige. L'air était devenu un océan indomptable, et lui, frêle esquif, se débattait, ballotté par des souffles qu'il ne comprenait pas. Il tenta de s'orienter, pencher son corps, offrir son flanc au vent pour en infléchir la course. Peine perdue ! Il dérivait, impuissant. Les courants le portaient, l'arrachaient, le faisaient tournoyer comme une feuille abandonnée. Il comprit alors qu'il devait cesser de lutter. C'est en sage qu'il deviendrait maître de son vol. Il se laissa donc aller, écouta la respiration du ciel et en s'abandonnant, il trouva enfin une forme de contrôle, non par la force, mais par l'acceptation de son sort.
Et bientôt, sur l'azur immense, il rencontra une montgolfière au ventre large, au cœur ardent. Elle le contempla d'abord d'un œil étonné, puis d'une voix profonde, elle lui confia son respect : « Jamais je n'ai vu un si petit être s'élever aussi haut. Tu incarnes le courage et le miracle. » Ils dansèrent un instant dans le vent complice. Mais l'air est un amant jaloux. Il les sépara sans pitié. Avant de disparaître, la montgolfière murmura : « Garde en toi le feu d'or, petit ballon jaune, car rares sont ceux qui osent s'arracher à leur sort. »
Loin de tout, bercé par la solitude des hauteurs, le ballon sentit le poids du vide. Les vents le négligeaient et peu à peu, il s'étiola, délaissant l'azur, glissant vers l'oubli. Son vol devint errance, son éclat s'émoussa. Après tant de jours, il vint à frôler la terre et dans un soupir de soie, se laissa choir dans l'ombre d'un hangar oublié.
Alors, dans la pénombre tiède, un frisson d'étonnement : là, lovée contre le silence, la montgolfière reposait. Elle n'était plus qu'un grand rêve plié, un soupir d'antan. Mais en l'apercevant, elle se redressa d'un éclat doux et chuchota : « C'est toi, petit ballon jaune ? Tu es devenu légende. »
Et dans cette nuit d'abandon, sous le toit craquelé du hangar, ils furent deux âmes suspendues, deux cœurs d'air échappés du temps, tissant ensemble le dernier chapitre d'un rêve d'envol.