Pourquoi les crises nous divisent et nous révèlent ?

Note préliminaire

Ce qui suit est un modèle, c'est-à-dire une tentative d'explication, pas une vérité absolue. Comme tout modèle, il simplifie la réalité pour la rendre compréhensible. Il ne prétend pas capturer toute la complexité des comportements humains, mais propose une grille de lecture qui s'est révélée pertinente pour comprendre des événements passés : la Seconde Guerre mondiale, la pandémie de Covid, et bien d'autres crises où des personnes proches se sont retrouvées soudainement en opposition. Ce modèle n'est ni définitif ni exhaustif. Il est perfectible et ouvert à la critique. Son utilité se mesure à sa capacité à éclairer ce que nous avons vécu et, peut-être, à mieux nous préparer aux ruptures futures.


I. Précisions et limites du modèle

Ce modèle N'EST PAS :

  • Un jugement moral où certains seraient des moutons et d'autres des héros
  • Une question d'intelligence : on trouve des gens brillants et des gens idiots dans tous les groupes
  • Binaire absolu : tout est une affaire de nuances

Ce modèle EST :

  • Descriptif : il cartographie des différences tempéramentales/épistémologiques réelles
  • Prédictif : il doit permet d'anticiper des réactions face aux crises
  • Explicatif : il tente de clarifier pourquoi des gens similaires divergent radicalement


II. Proposition d'usage du modèle

Comprendre les conflits actuels :

Ne plus voir les débats comme "idiots vs intelligents" ou "bons vs méchants", mais comme structures épistémologiques incompatibles face à l'incertitude.


Prédire les futures lignes de fracture :

Identifier quelle prochaine rupture activera ces clivages (guerre, climat, IA, transhumanisme, effondrement économique).


Communiquer entre opposés, si toutefois c'est possible :

  • Pôle A : Montrer que même les experts peuvent se tromper
  • Pôle B : Accepter que la délégation cognitive est rationnelle au quotidien dans la plupart des cas

Mais il me semble toutefois que l'espoir de réconciliation soit faible tant les critères de "vérité" sont incompatibles, nous verrons cela plus loin.


III. Principe fondamental

En temps normal, les divergences profondes entre individus restent latentes car masquées par le consensus social ambiant.

Lors d'une rupture de paradigme (guerre, pandémie, crise économique), le cadre habituel s'effondre et force chacun à révéler sur quoi il ne transigera jamais : sa hiérarchie ultime de valeurs et sa source de légitimité.

Nos 80% de vision commune, d'accords et d'harmonie se trouvent balayés par les 20% de divergence qui deviennent soudain les 100% qui comptent


IV. Les 6 axes de divergence fondamentaux

Comment lire ce modèle : Chaque personne se positionne sur 6 axes, c'est-à-dire 6 dimensions de notre personnalité et de notre façon de penser. Pour chaque axe, il existe deux positions opposées que nous appelons les pôles, un peu comme les pôles Nord et Sud d'un aimant :

  • Le Pôle A représente une tendance, par exemple : faire confiance aux institutions
  • Le Pôle B représente la tendance opposée, par exemple : se méfier du pouvoir

Personne n'est 100% A ou 100% B sur tous les axes. Nous avons tous des nuances. Mais face à une crise majeure, notre position dominante sur ces axes va déterminer comment nous réagissons. Voici les 6 axes qui prédisent nos comportements en temps de crise :

Axe 1 : rapport à l'autorité

  • Pôle A : Confiance dans les institutions / Besoin de structures établies
  • Pôle B : Méfiance instinctive / Besoin d'autonomie face au pouvoir

Axe 2 : tolérance à l'incertitude

  • Pôle A : Préfère l'ordre imparfait au désordre / Anxiété face au chaos
  • Pôle B : Préfère l'incertitude libre à la certitude contrainte / Tolère le chaos

Axe 3 : localisation de la menace existentielle

  • Pôle A : Le danger vient du chaos, de l'anomie, du désordre social
  • Pôle B : Le danger vient de l'abus de pouvoir, de l'autoritarisme, de la normalisation forcée

Axe 4 : source de légitimité cognitive

  • Pôle A : La vérité vient du consensus d'experts / de la majorité / des institutions
  • Pôle B : La vérité se vérifie individuellement / par la démarche critique personnelle

Axe 5 : rapport à l'effort cognitif face à l'incertitude

  • Pôle A : Délégation : "Je fais confiance au consensus, c'est rationnel et économe"
  • Pôle B : Vérification : "Je vais voir par moi-même, même si c'est pénible et isolant"

Axe 6 : source de légitimité épistémique (le plus déterminant)

  • Pôle A : Légitimité sociale : Est vrai ce que disent les autorités reconnues / Si je suis seul à penser X, j'ai probablement tort
  • Pôle B : Légitimité factuelle : Est vrai ce qui résiste à la vérification empirique / Le nombre de gens qui croient X est indépendant de sa véracité


V. Mécanisme de clivage

Phase 1 : Temps normal (stabilité)

  • Les divergences sur ces 6 axes existent mais restent invisibles
  • Le consensus social et les automatismes culturels masquent les différences
  • On se croit "pareils" car on partage 80% des références communes

Phase 2 : Rupture de paradigme (crise)

  • Le cadre habituel s'effondre
  • Moment critique : "À quoi se raccrocher ?"
  • Chacun active son réflexe existentiel selon sa position sur les 6 axes

Le rôle déterminant de la hiérarchie des priorités

Au-delà des différences idéologiques apparentes, ce qui sépare fondamentalement les Pôle A et Pôle B relève d'une hiérarchisation différente des priorités existentielles. Face à une crise où toutes les valeurs ne peuvent être préservées simultanément, chacun révèle ce qu'il place au sommet de sa pyramide de besoins non-négociables.

Les priorités du Pôle A, par ordre de préférence :

  1. Sécurité collective — "Personne ne doit mourir/souffrir si on peut l'éviter"
  2. Cohésion sociale — "Nous devons rester unis pour traverser cela"
  3. Stabilité institutionnelle — "Le cadre social ne doit pas s'effondrer"
  4. Efficacité pragmatique — "Agissons vite avec les moyens disponibles"
  5. Liberté individuelle : elle est sacrifiable temporairement pour les priorités 1-4

Les priorités du Pôle B, par ordre de préférence :

  1. Autonomie corporelle et cognitive — "Personne ne décide à ma place de ce qui entre dans mon corps ou mon esprit"
  2. Intégrité intellectuelle — "Je ne peux pas faire semblant de croire ce que je sais faux"
  3. Liberté de conscience — "Je refuse d'obéir à ce que je juge illégitime"
  4. Dignité personnelle — "Je préfère être exclu qu'être complice"
  5. Sécurité collective : elle est importante, mais pas au prix des priorités 1-4

Le conflit devient irréductible parce que :

  • Le Pôle A perçoit le Pôle B comme sacrifiant égoïstement la priorité 1 (la sécurité collective) pour un confort personnel (la liberté)
  • Le Pôle B perçoit le Pôle A comme sacrifiant lâchement la dignité humaine (l'autonomie) pour un confort social (l'appartenance)

Chaque camp voit l'autre renoncer à ce qu'il considère comme non-négociable.

Cette incompatibilité des hiérarchies de valeurs explique pourquoi le dialogue est impossible : on ne débat pas de faits, mais de ce qui compte le plus quand tout ne peut pas être sauvé à la fois.

Le Pôle A dira : "Des vies sont en jeu, comment peux-tu parler de liberté ?"

Le Pôle B lui répondra : "Une vie sans liberté ne vaut pas d'être vécue, comment peux-tu ne pas le voir ?"

La crise force chacun à révéler non pas ce qu'il pense, mais ce qu'il est prêt à sacrifier en dernier.

Phase 3 : Cristallisation et opposition

  • Les individus Pôle A se raccrochent aux institutions/consensus
  • Les individus Pôle B se raccrochent à leur vérification personnelle
  • Opposition binaire et irréductible : chaque camp voit l'autre comme dangereux
  • Le Pôle A voit le Pôle B comme : irresponsable, égoïste, complotiste, dangereux pour le collectif
  • Le Pôle B voit le Pôle A comme : mouton, servile, paresseux intellectuellement, complice d'autoritarisme


VI Le mécanisme du bouc émissaire

Lors d'une rupture de paradigme, la société en crise active un mécanisme sacrificiel identifié par René Girard : la recherche d'un bouc émissaire pour canaliser l'anxiété collective.

Dynamique en trois temps :

1.   Phase d'incertitude : Face au chaos, le groupe majoritaire (Pôle A) ressent une angoisse diffuse qu'il ne peut résoudre directement : le virus est invisible, l'ennemi est partout, la menace est abstraite

2.   Désignation du coupable : Le groupe projette son anxiété sur une minorité visible qui, par son non-conformisme, semble incarner le désordre ou empêcher le retour à la normale. Cette minorité est généralement le Pôle B, car :

  • Elle refuse le consensus protecteur
  • Elle incarne la liberté que le Pôle A a sacrifiée et engendre chez lui un ressentiment
  • Elle est facilement identifiable, car son refus de conformité est visible

3.   Escalade sacrificielle : La cible du bouc émissaire se déplace au fur et à mesure que les mesures de contrôle se durcissent :

  • COVID : joggeurs → sans-masques → non-vaccinés
  • Années 1930 : opposants politiques → minorités ethniques → Juifs
  • La logique est toujours la même : "Si seulement ils obéissaient, tout irait mieux"

Fonction du bouc émissaire :

  • Pour le Pôle A : Il permet de donner un visage concret à la menace abstraite, de maintenir la cohésion du groupe, et de justifier l'escalade des mesures coercitives : "c'est de leur faute si on doit être si strict"
  • Pour le Pôle B : Il confirme sa perception de la menace autoritaire (Axe 3) et renforce sa méfiance envers le consensus

Le paradoxe : Plus le Pôle A désigne le Pôle B comme bouc émissaire, plus ce dernier résiste, confirmant sa crainte de l'autoritarisme, ce qui renforce l'hostilité du Pôle A qui y voit la preuve de l'égoïsme dangereux du Pôle B. Cercle vicieux auto-entretenu.

Validation historique : Ce mécanisme apparaît dans presque toutes les crises majeures :

  • 1940 : Résistants qualifiés de "terroristes" mettant en danger la population
  • 1789 : Aristocrates accusés d'affamer le peuple
  • 2020 : Non-vaccinés accusés de "saturer les hôpitaux" et "tuer les grands-parents"

Dans tous les cas, la désignation du bouc émissaire dispense le groupe majoritaire d'interroger la légitimité de ses propres actions et crée une justification morale à l'exclusion, voire à la violence.


VII. Applications historiques du modèle

Exemple 1 : France 1940, occupation allemande

Profil "Futur Résistant" (tous axes vers B) :

  • Axe 1 → B : Méfiance envers l'autorité imposée (Vichy/Allemagne)
  • Axe 2 → B : Tolère le chaos et l'incertitude de la clandestinité
  • Axe 3 → B : Menace existentielle = soumission au nazisme
  • Axe 4 → B : Légitimité vient de principes moraux supérieurs, pas des institutions
  • Axe 5 → B : Prêt à vérifier par lui-même la réalité de l'occupation
  • Axe 6 → B : La vérité ne dépend pas du consensus (Vichy est légitime)

Profil "Vichyste/Attentiste" (tous axes vers A) :

  • Axe 1 → A : Besoin de structure institutionnelle (Vichy = continuité de l'État)
  • Axe 2 → A : Terreur du chaos/révolution/guerre civile
  • Axe 3 → A : Menace existentielle = effondrement de l'ordre social
  • Axe 4 → A : Légitimité vient du gouvernement légal (Pétain)
  • Axe 5 → A : Fait confiance à l'État pour gérer la situation
  • Axe 6 → A : Si Pétain et les élites disent que c'est nécessaire, c'est probablement vrai

Exemple 2 : Covid 2020-2022, obligation vaccinale

Profil "Opposant à l'obligation" (tous axes vers B) :

  • Axe 1 → B : Méfiance envers l'injonction étatique précipitée
  • Axe 2 → B : Accepte l'inconfort de la marginalisation sociale
  • Axe 3 → B : Menace existentielle = injection expérimentale imposée + perte d'autonomie corporelle
  • Axe 4 → B : Va vérifier les faits, les délais historiques
  • Axe 5 → B : Effort massif de documentation, lecture d'articles scientifiques
  • Axe 6 → B : Critère décisif = La vérité factuelle (délai 10 ans ≠ 9 mois) prime sur le consensus

Profil "Favorable à l'obligation" (tous axes vers A) :

  • Axe 1 → A : Confiance dans les institutions sanitaires
  • Axe 2 → A : Préfère la sécurité du conformisme à l'incertitude dissidente
  • Axe 3 → A : Menace existentielle = le virus + l'exclusion sociale + le chaos si chacun fait comme il veut
  • Axe 4 → A : Légitimité vient du consensus médical/scientifique officiel
  • Axe 5 → A : Délègue le jugement aux experts : économie d'effort cognitif
  • Axe 6 → A : Critère décisif = Si toutes les autorités le disent, c'est probablement vrai


VIII. Pouvoir prédictif du modèle

Test prédictif pour une crise future

Face à n'importe quelle rupture à venir, guerre, climat, IA, effondrement économique, il suffit de positionner un individu sur les 6 axes pour prédire sa réaction :

3 questions diagnostiques rapides :

1.   "Cette personne fait-elle plus confiance aux institutions ou à son jugement personnel ?" → Prédit axes 1, 4, 6

2.   "Cette personne craint-elle plus le chaos ou l'autoritarisme ?" → Prédit axes 2, 3

3.   "Face à l'incertitude, cherche-t-elle la sécurité ou la liberté ?" → Prédit axe 5

→ Ces réponses dessinent 80% de sa position future face à une crise


IX. Asymétries fondamentales

Asymétrie de la connaissance

  • Le Pôle A délègue son jugement → se croit "rationnel" et "responsable"
  • Le Pôle B vérifie et trouve des incohérences → accusé de "biais de confirmation" voire de complotiste par ceux qui ne vérifient rien

Asymétrie de l'effort

  • Le Pôle A paie le prix de la conformité : perte d'autonomie mais gagne en confort social
  • Le Pôle B paie le prix de la vérification : perte de temps et d'énergie, isolement social, devient un bouc émissaire mais gagne en connaissances

Asymétrie de la preuve

  • Le Pôle A n'a rien à prouver : le consensus se suffit à lui-même
  • Le Pôle B doit prouver que le consensus a tort : la charge de la preuve est maximale

Asymétrie temporelle

  • Quand le consensus a raison : le Pôle A triomphe socialement
  • Quand le consensus a tort : le Pôle B avait raison, mais personne ne vérifie rétrospectivement
  • Le mensonge fait le tour du monde pendant que la vérité enfile ses chaussures


X. Incompatibilités structurelles

Les deux épistémologies sont mutuellement inintelligibles :

Épistémologie A (majoritaire) :

  • La vérité est trop complexe pour que je la saisisse seul
  • Je dois faire confiance aux experts/institutions
  • Le consensus a forcément raison : sagesse des foules + division du travail cognitif
  • Ma responsabilité est de suivre les recommandations
  • Si nous sommes si nombreux, c'est que nous avons forcément raison

Épistémologie B (minoritaire) :

  • La réalité existe objectivement, indépendamment du consensus
  • Je peux y accéder par l'observation et la raison
  • Le consensus peut se tromper (nombreux exemples historiques)
  • Ma responsabilité est de tout vérifier par moi-même
  • Si j'ai vérifié et que les faits me donnent raison, le nombre d'opposants est non-pertinent

Conséquence :

Ces deux groupes ne peuvent pas se convaincre mutuellement car ils n'ont pas les mêmes critères de vérité.

  • Le Pôle A invoque l'autorité des experts → Le Pôle B demande de vérifier les sources primaires
  • Le Pôle B montre des faits vérifiables → Le Pôle A les rejette car ils contredisent le consensus
  • Dialogue de sourds structurel


XI. IMPLICATIONS SOCIÉTALES

Le paradoxe démocratique

La démocratie suppose des citoyens capables de jugement éclairé. Mais si :

  • 80%+ de la population est au Pôle A (délégation cognitive)
  • Les médias ne jouent plus leur rôle de vérification (capture institutionnelle, paresse, peur)
  • Les institutions peuvent se tromper ou être capturées

Comment la société peut-elle s'auto-corriger ?


Le problème de la transmission de vérité

Processus normal :

  1. Des individus vérifient et découvrent des anomalies
  2. Les médias relaient et investiguent
  3. Le débat public s'empare du sujet
  4. La majorité ajuste sa position

Processus actuel (rupture) :

  1. Des individus (Pôle B) vérifient et découvrent des anomalies
  2. Les médias les ignorent ou les disqualifient en les qualifiant de complotistes
  3. Pas de débat public (censure/ostracisation)
  4. La majorité (Pôle A) maintient sa position
  5. Les vérificateurs sont isolés, la vérité reste minoritaire

La tragédie des Cassandres modernes

Les individus au Pôle B ont :

  • Le don/malédiction de vérifier
  • La solitude structurelle liée à leur minorité
  • Raison sur les faits, tort socialement

Ils sont à la fois dans le vrai et impuissants.


XII. En complément, la dimension temporelle : que se passe-t-il après la crise ?

On peut ajouter une phase 4 qui explique ce qui peut se passer en sortie de crise.


Phase 4 : Sortie de crise et restructuration du récit

Une fois la rupture de paradigme résorbée, la société n'opère jamais un retour à l'état antérieur. Elle entre dans une phase de réorganisation mémorielle dont l'issue détermine la nature des relations futures entre les deux pôles.


Trois scénarios post-crise

Scénario 1 : L'amnésie collective organisée

Mécanisme :

  • Le consensus majoritaire (Pôle A) ne procède à aucune réévaluation rétrospective de ses positions
  • Les excès, erreurs ou injustices commis sont minimisés, euphémisés ou attribués à des "circonstances exceptionnelles"
  • Les institutions ne reconnaissent jamais explicitement leurs errements
  • Les victimes du bouc émissaire ne reçoivent ni excuses ni réhabilitation

Exemples historiques :

  • Après Vichy : Épuration immédiate (exécutions, procès), puis construction progressive d'un mythe résistancialiste qui exagère le nombre de résistants et minimise l'ampleur de la collaboration passive ou active. Lois d'amnistie rapides (1947-1953) permettant la réintégration silencieuse d'anciens vichystes dans l'appareil d'État (nécessité pragmatique de personnel compétent). Le régime de Vichy est déclaré "nul et non avenu" juridiquement, ce qui évite à la République d'en assumer la responsabilité.
  • Après le COVID : Aucune commission d'enquête sur les décisions sanitaires contestées, effacement progressif du débat sur les effets secondaires, narratif officiel figé : "la science a fait son travail"
  • Après le Patriot Act : Les abus de surveillance révélés par Snowden n'ont jamais conduit à une remise en cause fondamentale du système

Fonction sociale : L'amnésie permet de restaurer la paix sociale sans avoir à admettre d'injustice. Elle évite au Pôle A :

  • La dissonance cognitive douloureuse : "ai-je contribué à l'injustice ?"
  • La remise en cause des institutions auxquelles il a délégué sa confiance
  • La reconnaissance que le Pôle B avait peut-être raison

Conséquence pour le Pôle B :

  • Sentiment d'injustice irrésolue : "Nous avions raison, nous avons été persécutés, et personne ne le reconnaît"
  • Impossibilité du deuil symbolique, car il n'y a pas de reconnaissance publique
  • Fossilisation du ressentiment qui peut se transmettre sur plusieurs générations
  • Confirmation définitive de leur méfiance envers les institutions (Axe 1)

Scénario 2 : La fracture durable

Mécanisme :

  • Les deux camps maintiennent des récits mutuellement exclusifs de ce qui s'est passé
  • Aucune autorité légitime ne peut arbitrer entre les versions
  • La société se structure durablement autour de cette fracture mémorielle

Exemples historiques :

  • Guerre de Sécession américaine : 160 ans plus tard, le débat "États vs Fédéral" structure encore la politique américaine
  • Guerre civile espagnole : La mémoire de Franco divise encore
  • Seconde guerre mondiale : Le ressentiment envers les allemands s'est prolongée sur plusieurs générations
  • Mai 68 : Clivage générationnel qui traverse encore la société française

Conséquence sociétale :

  • Impossibilité de construire un récit national unifié
  • Réactivation du conflit : à chaque crise ultérieure, les mêmes clivages réapparaissent
  • Transmission intergénérationnelle du conflit

Scénario 3 : La réévaluation honnête

Mécanisme :

  • La société accepte de rouvrir le dossier et d'examiner factuellement ce qui s'est passé
  • Des commissions indépendantes enquêtent
  • Les erreurs sont reconnues publiquement
  • Des réparations symboliques ou matérielles sont offertes

Exemples historiques :

  • Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud post-apartheid
  • Excuses officielles pour l'internement des Japonais-Américains en 1988, 46 ans après
  • Reconnaissance de l'affaire Dreyfus, mais 12 ans après la condamnation
  • Réhabilitation de Galilée par l'Église, mais... 359 ans après

Mais c'est rare :

  1. Coût politique énorme : admettre l'erreur délégitime rétrospectivement les institutions
  2. Charge émotionnelle : le Pôle A devrait affronter sa culpabilité ou sa complicité passive
  3. Absence de mécanisme institutionnel : qui peut juger les institutions si elles contrôlent les outils d'enquête ?
  4. Asymétrie des archives : le récit dominant laisse plus de traces que le récit dissident

Le paradoxe temporel de la vérité

Plus le temps passe, plus il devient difficile d'établir la vérité factuelle :

  • Les preuves documentaires sont perdues, classifiées ou détruites
  • Les témoins directs meurent ou réécrivent leurs souvenirs
  • Le récit dominant se solidifie par répétition
  • La fatigue sociale fait que plus personne ne veut "remuer le passé"

Conséquence tragique : Au moment où il serait enfin possible de trancher factuellement (archives déclassifiées, études à long terme disponibles, acteurs principaux décédés), plus personne ne s'en soucie.

La vérité historique arrive souvent trop tard pour être socialement pertinente.


L'héritage transgénérationnel

Les crises non résolues se transmettent :

  • Pour le Pôle A : "Nous avons fait ce qu'il fallait dans un contexte difficile, nous n'avons fait qu'obéïr" : récit héroïque ou victimaire
  • Pour le Pôle B : "Nous avons été persécutés pour avoir dit la vérité" : récit de Cassandre


XIII. Questions ouvertes

1.   Origine des positionnements : Inné (tempérament) ou acquis (expériences) ?

2.   Mobilité entre pôles : Peut-on passer de A à B (ou l'inverse) ? Sous quelles conditions ?

3.   Validité objective : Le modèle décrit comment les gens décident, mais qui a raison factuellement ? Les faits peuvent-ils trancher entre les tempéraments ?

4.   Optimalité sociale : Une société 100% Pôle B serait-elle viable ? (Chaos total, défiance généralisée) Une société 100% Pôle A ? (Vulnérabilité aux manipulations, pas d'auto-correction)

5.   Ratio optimal : Y a-t-il un équilibre souhaitable entre Pôle A et Pôle B pour une société résiliente ?